vendredi 22 mars 2013


« Le seul désir  - Dans la nudité des tantra » Eric Baret


Auparavant, vous avez dit qu'on peut avoir la chance d'avoir rencontré l'essentiel. Pourriez-vous parler de cet essentiel que vous avez rencontré ?

Sur un certain plan, l'essentiel est le pressentiment non conceptualisé que la vie ne se trouve pas dans nos activités. Nos activités habillent la vie. On est père, mère, riche, pauvre, jeune, vieux, en bonne santé, malade : tout cela habille la vie. À un moment donné, on pressent que, inclus dans la vie, il y a autre chose. Plus ce pressentiment grandit, plus ces activités « relatives » se mettent à refléter l'essentiel.
Plus on s'aperçoit que l'essentiel n'est nulle part, plus le non-essentiel devient essentiel. Quand on se rend compte que la beauté n'est pas dans un objet, tous les objets deviennent beaux. Quand on se rend compte que la joie et la sécurité ne se trouvent pas dans une situation, toutes les situations, tous les objets nous parlent de cette sécurité, de cette beauté. Simplement, un basculement se fait : on ne se cherche plus dans la situation ; on ne se cherche plus dans l'objet. On continue de fonctionner comme avant, mais on n'attend plus rien. On est disponible à tout. Il y a une forme d'émerveillement à voir ce qui peut venir, ce qui va venir, que ce soit la souffrance, la vieillesse, la pauvreté, la guerre, la santé, la richesse, la paix. On n'a plus d'à priori. Tout ce qui arrive à l'humain, on est prêt à y faire face. Le corps répondra à sa manière, mais on n'a pas d'à priori. L'hiver et l'été sont inséparables.
Faire face clairement à mes obligations, à mon fonctionnement, mais ne rien en attendre. Une forme de clarté, de disponibilité vient alors. Je ne me cherche plus dans ma famille, dans mon travail, dans mon corps, dans ma pensée ; je cesse d'être un dictateur, d'exiger de ma mère, de mon père, de mon corps, de mon psychisme, de mon pays qu'ils soient comme je veux qu'ils soient. Je respecte que ma mère, mon père, mon pays fonctionnent à leur manière. Même chose pour mon corps et mon psychisme.
Petit à petit s'installe chez certains êtres le pressentiment qu'ils n'ont pas à se trouver dans leurs activités, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas à chercher le bonheur dans ce qu'ils font. Je ne demande plus à mon mari de me donner le bonheur, pas plus qu'à mon enfant, à mon travail, à mon corps, à ma famille, à ma race, à mes convictions, à mon compte en banque. Je me rends compte que la disponibilité fondamentale qui est en moi respire indépendamment de ces éléments. Souvent je m'y accroche de nouveau ; mais peu à peu, quand je me donne à un ressenti corporel sans intention, il y a dans la journée des moments de très grande joie, sans raison. Mon enfant est toujours aussi insupportable, ma femme est toujours aussi difficile, mon état de santé ne s'est pas amélioré, je ne sais toujours pas comment payer le loyer... mais je me promène dans la rue et je me sens satisfait ; et si, à ce moment-là, je rencontre un grand magicien capable d'exaucer mes vœux, je ne souhaite rien ! Tout ce que l'on pourrait me donner, je n'en ai pas besoin... Se familiariser avec ces moments. Alors, dans la vie familiale, professionnelle, corporelle, on devient vraiment opérationnel. Et l'on ne demande plus rien.
Quand on ne demande plus, on donne. Et l'on a réalisé l'essentiel, parce que donner est la nature profonde des choses. Pour donner, il faut se rendre compte que l'on n'a rien. Tant que l'on prétend avoir quoi que ce soit, on ne peut rien donner. Si je réalise profondément que je n'ai rien dans ma poche, une résonance se fait en moi. Cette résonance n'est que don. Là se trouve la joie, la paix. Mais tant que je veux quoi que ce soit, tant que j'ai besoin que l'on me donne, que l'on m'aime ou me respecte, je suis dans le manque, dans la misère, parce que je nie ma nature essentielle, qui est de donner.
Me rendre compte que j'avais inversé les priorités. Je cherchais à recevoir, à être aimé, à être compris, alors que j'ai besoin de donner, d'aimer, de comprendre. Ma tranquillité, ma sécurité, c'est cela. Je ne demande plus rien. Je ne demande plus à être compris, je comprends. Je ne demande plus à être aimé, j'aime. Je ne demande plus à être respecté, je respecte. Là, je trouve mon autonomie. Mais tant qu'il y a en moi la moindre velléité de vouloir être aimé, de vouloir recevoir, je ne suis plus dans mon honnêteté essentielle et cela me fait souffrir. C'est cette prétention qui me fait souffrir. Parce que ce qui rend profondément heureux, c'est de donner, non de recevoir.
Ce qui rend heureux, c'est d'aimer. Quand vous aimez profondément quelqu'un, qu'il vous aime ou non ne vous importe pas. Vous êtes nourri de votre amour. Dans cet amour, vous trouvez ce qui est essentiel, cette disponibilité. C'est cela, pressentir l'essentiel. Personne ne peut me le donner, me le transmettre. Je ne peux l'apprendre nulle part. C'est toujours disponible, sauf quand je prétends avoir besoin de quoi que ce soit. C'est un cadeau que je me refuse constamment. Quand je dis : «J'ai besoin de ça», je refuse toute la richesse du monde.

Page 256-257-258 – ISBN 2-922572-84-6 – Editions Trait d’Union

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