mardi 30 juin 2015

• « Référendum grec, le retour de la démocratie en Europe » par Jacques Sapir ; publié le 29/06/2015 à 09:58 sur le www.lefigaro.fr/vox/politique/...

FIGAROVOX/ANALYSE - L'économiste revient sur la décision d'Alexis Tsipras de convoquer un référendum . Il y voit un geste «gaullien» qui symbolise le retour de la démocratie dans un espace européen dont elle était absente.

Jacques Sapir dirige le groupe de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l'Institut de prévision de l'économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses chroniques sur son blog RussEurope.
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Un spectre hante l'Europe
Alexis Tsipras, dans un geste que l'on peut qualifier de «gaullien», a décidé de convoquer un référendum le 5 juillet, demandant au peuple souverain de trancher dans le différent qui l'oppose aux créanciers de la Grèce. Il a pris cette décision devant ce qu'il faut bien appeler les menaces, les pressions, et les ultimatums auxquels il avait été confronté durant les derniers jours de la négociation avec la «Troïka», soit la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International. Ce faisant, il a délibérément renvoyé au domaine politique une négociation que les partenaires de la «Troïka» voulaient maintenir dans le domaine technique et comptable. Ce geste a provoqué une réaction de l'Eurogroupe d'une extrême gravité. On le mesure au communiqué publié le samedi qui, dans une note de bas de page, confirme l'expulsion de fait de la Grèce hors de l'Eurogroupe. Nous sommes ici en présence d'un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l'après-midi. Ce qui se joue désormais n'est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce. C'est la question de l'Union européenne, et de la tyrannie de la Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée.
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La déclaration d'Alexis Tsipras
Le texte de la déclaration faite par Alexis Tsipras dans la nuit du 26 au 27 juin sur la télévision d'Etat grecque est un exemple de probité démocratique. Devant le comportement de ses interlocuteurs, et en particulier ce qu'il appelle un ultimatum, le Premier ministre grec en appelle à la souveraineté du peuple. Le texte, de ce point de vue, est extrêmement clair:
«Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l'UE et sape la relance de la société et de l'économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l'humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l'obsession du FMI pour une politique d'extrême austérité. (…) Notre responsabilité dans l'affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l'ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J'ai proposé au conseil des ministres l'organisation d'un référendum, et cette proposition a été adoptée à l'unanimité» .
Ce texte court, empli de gravité et de détermination, entrera vraisemblablement dans l'Histoire comme l'une des déclarations qui font honneur à la démocratie. Ce texte dit aussi la colère, froide et déterminée, qui imprègne son auteur. Et c'est peut-être là l'échec principal de l'Eurogroupe et des institutions européennes: avoir transformé un partisan de l'Europe en un adversaire résolu des institutions européennes.
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Les enseignements de la déclaration d'Alexis Tsipras
Il convient de lire attentivement ce texte, qui n'est pas que de circonstances. En effet, on peut retirer de cette courte déclaration trois points importants.
Le premier est que le désaccord entre le gouvernement grec et ses partenaires a été d'emblée politique. La BCE et la Commission Européenne n'ont eu de cesse que de rechercher une capitulation du gouvernement grec, ce que Tsipras appelle «l'humiliation de tout un peuple». Ce que cherche l'Union européenne, par le biais de l'Eurogroupe, c'est de cautériser le précédent ouvert par l'élection de janvier 2015 en Grèce. Il s'agit de faire la démonstration non seulement en Grèce, mais ce qui est en fait bien plus important en Espagne, en Italie et en France, qu'on ne peut «sortir du cadre de l'austérité» tel qu'il a été organisé par les traités comme l'avait affirmé dès l'élection du 25 janvier Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne.
Le deuxième point important de cette déclaration est que, pour la première fois un dirigeant légalement élu et en fonction déclare que les institutions européennes font des propositions qui, dans leur fond comme dans leur forme «violent absolument les acquis européens». C'est une accusation très grave. Elle revient à dire que les institutions européennes qui sont censées être des garants de la démocratie agissent au contraire de celle-ci. Elle revient aussi à dire que ces mêmes institutions, dont la légitimité n'existe que par délégation de la légitimité des Etats membres ont des comportements qui violent la légitimité et la souveraineté de l'un des dits Etats membres. Cela revient donc à dire que les institutions de l'Union européennes se sont constituées en Tyrannus ab exercitio soit en un pouvoir qui, tout en étant issu de procédures légitimes, se conduit néanmoins en Tyran. Cela revient à contester radicalement toute légitimité aux instances de l'Union européenne.
Le troisième point se déduit des deux premiers. Il est contenu dans la partie du texte qui dit: «Notre responsabilité dans l'affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l'ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec». Il place désormais les enjeux non plus au niveau de la dette mais à celui des principes, de la démocratie comme de la souveraineté nationale. Et c'est en cela que l'on peut parler d'un véritable «moment gaullien» chez Alexis Tsipras. Il a osé poser la question de l'austérité et du référendum, et a reçu un soutien unanime, y compris des membres de l'ANEL, le petit parti souverainiste allié à SYRIZA. Il s'est ainsi réellement hissé à la stature d'un dirigeant historique de son pays.
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Le coup de force de l'Eurogroupe
La réaction de l'Eurogroupe ne s'est pas faite attendre. Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, après avoir qualifié de nouvelle «triste» (sad) ce référendum , a demandé au Ministre grec, M. Yanis Varoufakis, de quitter la salle de réunion. Ce faisant, il a confirmé les options et les méthodes antidémocratiques qui ont cours aujourd'hui au sein de l'Union européenne. Au-delà des mots, il y a les faits, et ces derniers sont d'une extrême gravité. Dans un acte qui conjugue l'illégalité la plus criante avec la volonté d'imposer ses vues à un Etat souverain, l'Eurogroupe a décidé de tenir une réunion en l'absence d'un représentant de l'Etat grec. De fait, l'Eurogroupe a donc décidé d'exclure la Grèce de l'Euro. Ceci constitue à l'évidence un abus de pouvoir. Et il faut ici rappeler plusieurs points qui ne sont pas sans conséquences tant juridiquement que politiquement.
1. Aucune procédure permettant d'exclure un pays de l'Union Economique et Monétaire (non réel de la «zone Euro») n'existe actuellement. S'il peut y avoir une séparation, elle ne peut avoir lieu que d'un commun accord et à l'amiable.
2. L'Eurogroupe n'a pas d'existence légale. Ce n'est qu'un «club» qui opère sous couvert de la Commission Européenne et du Conseil européen. Cela signifie que si l'Eurogroupe a commis un acte illégal - et il semble bien qu'il en soit ainsi - la responsabilité en incombe à ces deux institutions. Le gouvernement grec serait donc fondé d'attaquer la Commission et le Conseil à la fois devant la Cour Européenne de Justice mais aussi devant la Cour Internationale siégeant à La Haye. En effet, l'Union européenne est à la base une organisation internationale. On le constate par exemple dans le statut, et les exemptions fiscales, des fonctionnaires européens. Or, la règle dans toute organisation internationale est celle de l'unanimité. Le traité de Lisbonne a bien prévu des mécanismes de majorité qualifiée, mais ces mécanismes ne s'appliquent pas à l'Euro ni aux questions des relations fondamentales entre les Etats.
3. Le coup de force, car il faut l'appeler par son nom, que vient de faire l'Eurogroupe ne concerne pas seulement la Grèce. D'autres pays membres de l'Union européenne, et l'on pense au Royaume-Uni ou à l'Autriche, pourraient eux-aussi attaquer devant la justice tant européenne qu'internationale la décision de fait prise par l'Eurogroupe. En effet, l'Union européenne repose sur des règles de droit qui s'appliquent à tous. Toute décision de violer ces règles contre un pays particulier constitue une menace pour l'ensemble des membres de l'Union européenne.
4.Il faut donc ici être clair. La décision prise par l'Eurogroupe pourrait bien signifier, à terme, la mort de l'Union européenne. Soit les dirigeants européens, mesurant l'abus de pouvoir qui vient d'être commis, se décident à l'annuler soit, s'ils persévèrent dans cette direction ils doivent s'attendre à une insurrection des peuples mais aussi des gouvernants de certains Etats contre l'Union européenne. On voit ainsi mal comment des Etats qui ont juste recouvré leur souveraineté, comme la Hongrie, la République Tchèque ou la Slovaquie, vont accepter de telles pratiques.
Ceci révèle au grand jour la nature fondamentalement antidémocratique des institutions de l'UE et le fait que cette dernière soit en train de se constituer en Tyrannie. Le silence des principaux responsables tant du PS que de l'ex-UMP (rebaptisée «Les Républicains») en dit long sur l'embarras d'une partie de la classe politique française. On le comprend, sans l'excuser.
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Le spectre de la démocratie dans les couloirs de Bruxelles
En France donc, on ressent très distinctement le malaise que provoque l'initiative d'Alexis Tsipras. Que ce soit au Parti Socialistes ou chez les «Républicains», on ne peut ouvertement s'opposer à une telle décision sans contredire immédiatement et brutalement tous les discours qui ont été tenu sur la démocratie. Mais, en réalité, le référendum grec fait planer le spectre d'un autre référendum, celui de 2005 sur le projet de traité constitutionnel en Europe. La manière dont la classe politique française, dans sa large majorité, de Nicolas Sarkozy à François Hollande en passant par les Aubry, Bayrou, Juppé et autres Fillon, avait été désavouée par la victoire du «Non», mais avait fait passer en contrebande à peu de choses près le même texte lors du Traité de Lisbonne qui fut ratifié par le Congrès à Versailles, est l'un des épisodes les plus honteux et les plus infamants de la vie politique française.
On ne peut, et on ne doit, préjuger du résultat de ce référendum. Mais on doit souligner qu'il représente le retour de la démocratie dans un espace européen dont elle était absente. Il est probable que les partis d'opposition, que ce soit Nouvelle Démocratie ainsi que le Parti de centre-gauche La Rivière (To Potami) protestent et cherchent à empêcher par divers recours légaux ce référendum d'avoir lieu. Ces réactions sont exemplaires des comportements antidémocratiques qui s'épanouissent aujourd'hui en Europe. Ils apportent de l'eau au moulin d'Alexis Tsipras. On sent comment les acteurs européistes de ce drame sont aujourd'hui terrorisés par le spectre de la démocratie.
Alexis Tsipras ne doit ainsi pas s'attendre à un quelconque soutien de la part de François Hollande, n'en déplaise à Jean-Luc Mélenchon. Notre Président est renvoyé sans ménagement à sa propre médiocrité. Il ne doit pas s'attendre à la moindre merci d'Angela Merkel dont la politique est la véritable cause de cette crise. Mais il peut s'attendre au soutien de tous ceux qui, en Europe, se battent pour la démocratie et la souveraineté.
Jacques Sapir

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